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LES OISEAUX DE PROIE

— J’en suis certain. Si vous désirez lui éviter des ennuis et des tourments, vous prendrez soin de ne lui rien laisser connaître jusqu’à ce que l’affaire soit réglée, en supposant qu’elle soit jamais réglée. J’ai connu une affaire de ce genre qui a duré plus longtemps que la vie de la personne intéressée.

— Vous vous placez à un point de vue très-décourageant.

— Je me place au point de vue pratique. Mon frère est un monomane au sujet des héritiers légaux.

— J’ai peine à me faire à l’idée de cacher la vérité à Charlotte.

— C’est parce que vous n’avez pas autant que moi l’expérience du monde, répondit froidement Sheldon.

— Je ne puis m’imaginer que la pensée de ses droits puisse avoir sur son esprit aucune influence de nature à le troubler, insista Valentin d’un air réfléchi. Il n’y a personne au monde qui attache moins d’importance à l’argent.

— Cela peut être ; mais il y a une sorte d’enivrement dans l’idée d’une grande fortune… un enivrement contre lequel aucune femme de l’âge de Charlotte ne saurait se défendre. Dites-lui qu’elle a droit à une grande fortune, et à partir de ce moment, elle y comptera, elle la prendra pour base de tous ses projets d’avenir. C’est fatal. Lorsque j’aurai ma fortune, je ferai ceci, cela ! Voilà ce qu’elle se dira continuellement à elle-même ; et, après cela, quand nous aurons échoué, ce qui arrivera très-probablement, il lui restera une déception qui durera toute sa vie et altérera considérablement la satisfaction que trouve Charlotte dans son existence actuelle.

— Je suis porté à croire que vous avez raison, dit Valentin après quelques moments de réflexion. Ma chère