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adolphe brassard

l’affreuse cicatrice qui va de la racine de mes cheveux à mon menton. C’est une marque profonde, rouge, violacée, qui part de mon front, soulève l’arcade sourcilière gauche, étire la paupière, dépouille la joue quasiment à la mâchoire, et finit en ricochant vers l’oreille dont le bout manque. Ainsi, voilà ce que je suis devenu : un défiguré. Avec un geste de répulsion, ma main cache la hideuse balafre, et l’eau ne reflète maintenant que le côté droit de mon visage ; il est intact. J’ôte et je replace ma main, et c’est moi : ce que j’étais, ce que je suis. Je m’éloigne lentement du bassin, et, à mesure, je vois mon visage s’enfoncer dans l’eau comme dans un gouffre qui l’avale. Je lève la tête et l’affreux masque la courbe. Ma laideur est disparue au fond du bassin, mais elle reste gravée dans la rétine de mes yeux, et, quelle que soit la direction vers laquelle je dirige mes regards, je me vois. Je me vois dans ce massif de fleurs, dans les branches de cet arbre,