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rides, comme pétrifié, avait une expression de dureté qu’accentuait une bouche mince. Sa lèvre supérieure rentrante, ombragée d’une courte moustache clairsemée, se retroussait souvent, par un tic familier, sur des dents solides qu’on eût dit toujours prêtes à mordre. Le noir de ses yeux chassieux venait en contraste avec la couleur châtine de ses cheveux poussés en brosse, et que soixante années d’existence n’avaient pas fait grisonner.

Autoritaire et égoïste Joachim Bruteau n’était pas précisément méchant, mais qu’attendait-il pour le devenir, l’occasion ? Cet homme au tempérament violent aurait pu tuer dans sa colère.

Le repas terminé, Joachim, toujours silencieux, alla s’asseoir près de la fenêtre ouverte. Il alluma sa pipe, et tout en tirant de fortes bouffées, se mit à regarder ses champs qu’il apercevait bien de l’endroit où il se tenait. La vue de ses récoltes qui s’annonçaient bonnes, le remplit d’aise. Il extériorisa sa satisfaction par un « hé, hé » guttural d’un accent tel, qu’il eût été difficile de dire si l’exclamation était ironique ou admirative.

Gilberte, qui vaquait aux soins du ménage dans une pièce voisine, interrompit son travail à la voix de son oncle, et prévenante s’enquit :

— Quelque chose pour vous, oncle Joachim ?

— né, hé, oui, quelque chose pour moi. Tout ça, fit-il en montrant de la main à la jeune fille qui s’était approchée, les pièces de grain.

— Ils sont vraiment beaux vos champs, oncle Joachim. Mais ce qu’il y a de beau, surtout, c’est ce bel horizon bleu sur lequel se découpe si nettement le vieux fort, là-bas, et…