— Mais je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous en ce sens, dit-elle résolument. Étant majeure, je suis indépendante de mes actes.
Le vieux bondit.
— Ingrate ! sans-cœur ! Moi qui t’ai élevée, nourrie, instruite…
— Mais nullement aimée, ajouta Gilberte. Tout ce que vous venez d’énumérer, ce n’est pas à vous que je le dois, c’est à ma bonne tante. Vous, vous ne m’avez tolérée sous votre toit que dans le seul but de faire de moi votre esclave. Oh, il y a longtemps que je vous ai deviné. Et aujourd’hui, le bonheur s’offre à moi, et je le refuserais pour rester sous votre férule ? Jamais ! Je serai la femme d’Étienne Bordier.
— C’est toi ! c’est toi ! qui me parles ainsi ! Ah tu t’en repentiras ! Tu t’en repentiras. Ah, tiens, je te… je te maud…
Mais il ne finit pas son imprécation. Étienne s’était élancé et son visage touchant presque celui du vieux, il prononça, martelant ses mots :
— Malheureux ! qu’alliez-vous dire à cette créature de pureté ! N’oubliez pas que Gilberte Mollin est déjà ma femme devant Dieu, et que je la défendrai contre vous, à l’instant s’il le faut. Vieillard, je vous plains…
— Et toi… Et toi… je te hais, crapule ! Ah, je voudrais vous broyer tous deux !
— Oncle Joachim je vous en prie, calmez-vous, soyez humain, s’écria Gilberte bouleversée. Quel crime commettons-nous donc en nous aimant et en unissant nos destinées !