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LA VIE DE FAMILLE

On m’a donné pour la nuit une petite chambre où j’ai été seule ; l’une des jeunes filles l’avait abandonnée à mon intention. Elle était étroite comme une cellule de prison, avait une grande fenêtre avec jolie vue, quatre murailles blanches et nues, mais fort propres. Je me suis très-bien trouvée sur le canapé-lit de cette cellule, et m’y suis endormie parfaitement au bruit de la pluie et à l’air doux qui pénétrait par la fenêtre entr’ouverte.

Je me suis réveillée le matin au bruit du travail qui se faisait autour de la maison ; on allait, venait, on s’agitait, tout cela paraissait actif, laborieux. Mais je pensai : « Les Esses et les Pythagoriciens commençaient la journée par un chant et une consécration du travail adressés aux saintes puissances. » Et j’ai soupiré en voyant combien, sous ce rapport, les associations de l’Occident étaient inférieures à celles de l’Orient.

Je m’habillai et descendis. Ma nature me portant à entrer de cœur et d’âme dans la vie présente, je voulus vivre en véritable phalanstérienne, et je pénétrai comme travailleuse dans l’un des groupes. Je choisis de moi-même celui de la cuisine, parce que mon esprit est plus apte à prendre cette direction. Je fus donc bientôt près de l’âtre à côté de la parfaite madame A…, qui présidait le groupe, et je fis pour le déjeuner une quantité de crêpes de sarrasin (comme celles que nous faisons en Suède, seulement la plaque était plus grande), et j’eus le plaisir d’en offrir de toutes chaudes à Marcus, à Channing, à quelques membres du Phalanstère qui étaient à table. Je reconnus moi-même que mes crêpes étaient très-bien faites. Dans mon ardeur, j’enfonçai aussi les mains et les bras jusqu’au coude dans un grand pétrin ; mais peu s’en fallut qu’ils ne restassent dans la pâte. Elle était trop pesante pour moi, je