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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

dans une même vie, une même prière, — « Notre père, » — cette pensée me fit pleurer (ma ressource ordinaire, tu le sais, dans la joie comme dans la douleur). Le capitaine crut sans doute que j’avais besoin d’être égayée et vint amicalement vers moi après le sermon. Mais ce n’était pas cela, j’étais heureuse. Ensuite je me suis promenée sur le pont, et j’ai lu un poëme intitulé Evangeline, un conte d’Acadie, de Longfellow, poëte américain. Ce poëme appartient à l’Amérique du Nord quant à l’histoire et aux scènes de la nature ; il est plein d’intérêt et de vie dramatique ; la fin seulement me paraît tourner au mélodrame et un peu cherchée. Il commence par la peinture des forêts primitives du Nouveau-Monde, de leurs arbres gigantesques qui ressemblent aux druides antiques par leurs longues barbes, et résonnent au vent en gémissant, comme des harpes. Ce début est magnifique, dans un ton mineur animé qui continue pendant tout le chant sur le peuple pacifique et persécuté de l’Acadie ; c’est une belle et triste romance complétement basée sur un fond historique. Ce petit livre m’a été donné au moment de mon départ de l’Angleterre par M. Howitt : je lui dois l’avant-goût de la littérature américaine, et il m’a semblé y sentir un souffle de la vie du Nouveau-Monde.

Qu’il est agréable d’avoir la liberté de lire, de se taire, de réfléchir ! On a pour moi ici toutes sortes d’égards ; tantôt l’un, tantôt l’autre vient me dire un mot. Je réponds poliment, sans continuer la conversation, n’en ayant pas envie. Parmi ces cinquante et quelques passagers masculins, il n’y en a qu’un, vieillard agréable, dont la physionomie annonce un esprit supérieur. Les douze à treize femmes ne sont guère attrayantes non plus, quoique plusieurs soient bien et agréables de leur personne. Je suis