Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
LA VIE DE FAMILLE

drame de Shakspeare une épouvantable réalité, et une puissance surnaturelle à la scène de nuit des sorcières, à toute la pièce en général. Plusieurs de ses auditeurs me l’ont dit.

Dimanche dernier, je suis allée avec quelques messieurs et mademoiselle Sedgewick (venue en ville pour peu de jours) dans l’église des Marins, pour entendre leur célèbre prédicateur, le père Taylor. C’est un véritable génie, il m’a ravie. Quelle chaleur ! quelle originalité ! quelle richesse d’expression il y a dans ses peintures poétiques ! Il doit, en vérité, avoir le pouvoir de réveiller les morts d’esprit. Un jour, parlant de l’homme méchant et vicieux, il s’interrompit, et se mit à décrire une matinée de printemps à la campagne, la beauté de la contrée, le calme, l’air embaumé, la rosée sur l’herbe et les feuilles, le lever du soleil ; — puis il revint à l’homme méchant, et le plaça en face de cette magnificence de la nature : « ce malheureux ne peut pas en jouir. » On m’a raconté qu’une autre fois il entra dans son église avec l’expression d’un profond accablement, la tête baissée et sans regarder, comme d’habitude, à droite et à gauche (il était obligé de traverser l’église pour arriver à la chaire), en faisant un signe de tête amical à ses amis et connaissances. Tous se disaient : « Qu’a donc le père Taylor ? » Il monta en chaire, s’inclina en proie à la plus grande affliction et en s’écriant : « Que le Seigneur ait pitié de nous ! car nous sommes une veuve ! » et il indiqua la bière qu’il avait fait placer sous la chaire, dans le passage. L’un des marins de la paroisse venait de mourir, laissant une veuve et plusieurs enfants, sans aucuns moyens d’existence. Le père Taylor n’avait fait qu’un, de la paroisse, de lui et de la veuve, et traça un tel tableau du chagrin de cette infortu-