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LA VIE DE FAMILLE

mais tout était encore plus silencieux et plus calme qu’auparavant. Sous un pêcher, je vis un jeune nègre, ayant une jolie et bonne figure, qui s’appuyait contre cet arbre. J’entrai en conversation avec lui, et lui fis diverses questions. Un autre esclave survint, et mon entretien fut à peu près ceci :

« À quelle heure vous levez-vous le matin ? — Avant le soleil. — À quelle heure vous couchez-vous ? — Après le coucher du soleil, quand il fait nuit. — Mais alors comment avez-vous le temps de cultiver vos jardins ? — Nous nous en occupons le dimanche ou la nuit, après que nous sommes rentrés, quoique souvent nous soyons si fatigués, que nous pouvons à peine nous soutenir. — À quelle heure vous donne-t-on à dîner ? — On ne nous donne pas à dîner ! Si nous pouvons, en travaillant, jeter dans notre gosier un morceau de pain et quelques grains de blé, cela doit suffire. — Mes amis, dis-je maintenant avec un peu de méfiance, votre extérieur contredit vos paroles, car vous paraissez bien nourris et vigoureux ! — Nous cherchons à nous soutenir de notre mieux, répondit l’homme de l’arbre ; si nous laissions faiblir notre courage, nous ne tarderions pas à mourir. » Les autres chantèrent la même complainte.

Je leur souhaitai la bonne nuit, et m’éloignai en soupçonnant que tout n’était pas vrai dans le dire des esclaves. Cependant, — si c’était faux ici, il se pouvait qu’en d’autres lieux ce fût la vérité ; tout étant possible avec une institution qui donne un si grand pouvoir à l’arbitraire individuel. — Ces misères réelles ou possibles se dressèrent devant moi et m’accablèrent. La soirée était belle, l’air balsamique, toutes les fleurs exhalaient leur parfum, la nature ressemblait à une fiancée, le ciel était clair, la