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LA VIE DE FAMILLE

veau est un stoïque, non pas revêche, mais doux et beau. La vie fleurit partout où il se montre ; dans un cercle d’amis sa présence est une fête ; le nectar et l’ambroisie exhalent leurs parfums autour de lui. Mais il n’a pas besoin d’amis, il n’a besoin de personne, pas même de Dieu, — et devient lui-même semblable à Dieu, puisqu’il n’a pas besoin de lui. Il fait la conquête du ciel rien qu’en lui disant : « Je ne te demande pas. » Il descend en réparateur dans la nature, la gouverne, la ravit, elle est son amie, et lui suffit. Les dieux des forêts lui communiquent bas à l’oreille leur paix, et le sentiment qui leur permet de se suffire eux-mêmes ; il n’est pas une motte de terre qui n’ait une étoile au-dessus d’elle, pas de douleur que la vie curative de la nature ne puisse guérir. L’homme nouveau dit adieu au monde orgueilleux, foule aux pieds la grandeur de Rome et de la Grèce dans sa demeure champêtre, où il peut « rencontrer Dieu dans le buisson. » La langue d’Émerson est concise, énergique, simple, mais frappante et plastique. Les tours en sont originaux ; les vieilles choses s’y montrent sous un aspect si nouveau et brillant, que l’on croit les entendre pour la première fois. La baguette divinatoire du génie est dans sa main ; il est maître dans son champ. Sa force proprement dite me paraît être la critique, une sorte de dédain, de mépris divin pour tout ce qui est médiocre, faible, misérable, n’importe où il le découvre, et Émerson le voit presque partout. Il le flagelle sans ménagement, mais en même temps avec une rare bonté. Ses mouvements dans cette direction sont véritablement athlétiques et royaux ; ils me font souvenir de notre roi Gustaf-Adolphe le Grand, lorsqu’il saisit un soldat par les cheveux et le livre pour être puni en prononçant ces bienveillantes paroles : « Viens, mon garçon, il vaut mieux