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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

force et de la volonté de souffrir ; non, ce n’est pas une joie égoïste qui fortifie le Prométhée de la nouvelle création, c’est la certitude que, malgré le tyran, et par sa propre force, il a préparé la liberté et le bonheur de la race humaine. La menace dont il s’arme contre son bourreau, la fierté avec laquelle il sent qu’il peut l’écraser, sont une prophétie relative au bel avenir du Nouveau-Monde, de l’Amérique, car

« La souffrance infinie a aiguisé ma vue intérieure et fait de moi un devin, un juge entre la vérité et l’apparence.

« La puissance certaine de ce qui est éternellement bien, rendue plus certaine encore par le témoignage de martyrs tels que moi, voilà ma vengeance, vengeance qui dresse, avec les injustices que j’ai endurées, un arc de triomphe sous lequel je vois un sceptre et un trône.

« Des bergers jouant gaiement de la flûte sur les collines où paissent leurs troupeaux ne sont plus destinés à saigner pour toi ;

« De joyeuses jeunes filles ne fouleront plus avec leurs pieds blancs la récolte de la vigne pour qu’elle soit répandue sur les autels ; — la félicité des amants, balbutiée à l’ombre des bosquets de vignes, dont les grappes pourpres sont moins étroitement pressées que leurs joues, ne sera plus troublée par tes désirs grossiers.

« Un bourdonnement — semblable à des essaims d’abeilles — s’élèvera des sociétés pacifiques où la force hâlée moissonnera pour son propre compte le riche sol dont elle fait sa propriété par le travail. Il est allégé par des cantiques d’actions de grâces adressés à la toute-puissance contre laquelle tes citadelles insensées cherchent à lutter comme une étincelle contre l’Océan.

« L’esprit d’amour libre et de joyeuse paix, récompense certaine de la vertu dans la vie et dans la mort, telle est la moisson que toutes les intelligences supérieures récoltent, pas toujours sur la terre, il est vrai, mais dont elles sont assurées lors même que d’autres mains en auraient lié les gerbes ; c’est le poignard non sanglant qui tue les tyrans tombés, l’instrument d’une noble vengeance ;

« Car la meilleure partie de leur vie sur la terre, c’est celle où, longtemps après leur mort, leurs pensées et même leurs rêves sauvages, n’étant plus enchaînés ni prisonniers, sont devenus une partie néces-