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LA VIE DE FAMILLE

Scorpion au cœur rouge-feu (Antares), le Sagittaire, le Capricorne, ainsi que la Couronne du Sud (insignifiante), brillaient d’un grand éclat. La lumière zodiacale lançait sa lueur blanche vers la Voie lactée ; nous dirigeâmes le télescope vers une nébuleuse de celle-ci, ensuite du côté où se trouve ma patrie, perdue, hélas ! dans l’immensité de l’univers comme l’infusoire dans l’Océan. Mais je puis voir maintenant ce rapport sans qu’il m’écrase ou m’inspire des pensées inquiètes. L’écrit d’Oerstedt sur « l’unité de la raison humaine dans tout l’univers, » les bases sur lesquelles il l’édifie, m’engagent à y voir mon foyer, à me considérer comme la citoyenne du monde. L’univers n’est plus pour moi que le monde, le foyer particulier de l’homme. La nuit, étant fort obscure, rendait les étoiles d’autant plus brillantes ; cependant elles l’étaient moins que chez nous et paraissaient aussi moins grandes. L’air était embaumé et si calme, que nous entendions les coups de rames et les chants des nègres sur la rivière. Je restai levée jusqu’après minuit. Le lendemain, j’ai dit adieu à mon foyer bien-aimé de la Caroline du Sud. Madame Howland a eu pour moi jusqu’à la fin les soins d’une mère, d’une sœur. Mon petit panier était rempli d’oranges, de bananes de choix, cadeau que m’avait fait la marchande de fruits de la maison, jolie mulâtresse qui none d’une manière si pittoresque ses mouchoirs de tête. (J’ai son portrait dans mon album.) Le vieux Roméo m’a donné des fleurs. Je me suis embarquée à trois heures du soir sur le bateau à vapeur l’Orfraie. La compagnie de Philadelphie et de Charleston, à qui il appartient, m’avait envoyé des billets de « politesse, » auxquels je dois d’avoir effectué gratuitement le voyage de Philadelphie. Ce cadeau, d’une valeur de vingt dollars, ne pouvait être offert avec plus de bonne grâce.