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LA VIE DE FAMILLE

Je viens de recevoir la visite des plus jolies quakeresses ; il est impossible de rien imaginer de plus gracieux que ces jeunes personnes dans leur costume clair, fin et modeste. Je vais te présenter leur contraste :

J’étais assise un matin sous la voûte feuillée du rivage, mon livre à la main, mais les yeux fixés sur la mer et les marsouins, lorsqu’une grosse femme, au visage rebondi comme celui des revendeuses les mieux nourries de Stockholm, vint s’asseoir à une petite distance de moi sur mon banc. Pressentant un danger, je fixai fortement les yeux sur « l’Excursion » de Wordsworth. Ma voisine me regarda de côté et finit par me dire : « Savez-vous où est mademoiselle Bremer ? — Je crois, répondis-je, qu’elle habite Columbia-House. — Hum !… je serais fort aise de la voir. » — Pause. Je gardais le silence les yeux dans mon livre. Ma voisine reprit : « Je lui ai envoyé l’autre jour un paquet : — il contenait des vers et un livre ; — elle ne m’a pas donné signe de vie. — Hélas ! dis-je en me voyant ainsi au pied du mur, vous êtes peut-être la « Harpe américaine, » et la personne à qui je suis redevable de cet envoi ? » J’aurais préféré ne pas rencontrer l’auteur de ce livre écrit du même style que les Certitudes trompeuses, car l’auteur dit dans sa préface que le journal du Cap-May en avait fait le plus grand éloge, et je ne pouvais en rien dire, sinon détestable. Mais la bonne intention des vers méritait un remercîment, et je m’exécutai convenablement. « Eh bien, reprit la Harpe, avez-vous lu le livre ? — Pas encore, j’y ai seulement jeté un coup d’œil. — Lisez-le, lisez-le jusqu’à la fin. J’ai écrit tout ce qu’il contient, prose et vers, tout est de moi. J’ai composé une foule de vers et me propose de publier bientôt une collection de mes œuvres poétiques. Mais c’est cher de faire imprimer. — Je le