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LA VIE DE FAMILLE

avant dans la plantation ; elle a dû produire sur ces fils d’Adam, avides de pommes, le même effet que celle de Dieu dans le Paradis, lorsqu’il s’adressa à notre premier père, et quoique cette voix fût assurément moins redoutable, tous les voleurs n’en recoururent pas moins à leurs jambes. Ils jetèrent sur la route, par-dessus la clôture, toutes les pommes qu’ils purent arracher, franchirent la clôture en riant, en se lançant des pommes, et rentrèrent dans les wagons, laissant le propriétaire du verger contempler ses arbres maltraités et dépouillés.

Je conviens que cette scène et l’esprit dans lequel on l’avait jouée m’étonnèrent beaucoup. « Est-il possible, dis-je à Lowell, que ces jeunes hommes soient des gens comme il faut ? » Il secoua la tête en silence.

J’avais déjà plusieurs fois entendu parler de vols de fruits et de fleurs commis par des jeunes gens dans les jardins des grandes villes (surtout autour de Philadelphie) ; j’avais interrogé Downing et Marcus à cet égard. Ils sont convenus du fait, en ajoutant pour l’excuser : « Les fruits sont tellement abondants et à si bon marché dans ce pays, que d’en prendre n’est pas considéré comme une illégalité. » Cependant les jeunes hommes du convoi se sont sauvés à la voix du propriétaire comme des voleurs de fruits ordinaires. La seule différence qu’il y a entre eux et les voleurs de même genre en Europe, c’est que les premiers n’éprouvent aucune honte. Voler des fruits, maltraiter les arbres, fuir devant le jardinier, tout cela dénonce un esprit de la plus basse espèce.

Nous arrivâmes vers l’heure du dîner à Rochester, l’une des grandes artères par lesquelles le commerce de l’Ouest pénètre dans les États de l’Est, et celui de ceux-ci dans l’Ouest. La ville est située entre l’Ontario et la Genessée,