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LA VIE DE FAMILLE

plein de vie. Au bout de deux heures nous étions arrivés au but, mais nous entendîmes longtemps auparavant la voix tonnante du monstre. Les visiteurs étant peu nombreux, vu la saison avancée, on nous donna les meilleures chambres de l’hôtel de la Cataracte, puis nous nous hâtâmes de sortir pour voir — l’objet.

Il produit une grande et joyeuse impression, mais n’a rien qui étonne ou frappe de stupeur quiconque le regarde. En s’avançant vers la grande chute (elle est sur le territoire du Canada), on voit une pesante masse d’eau tomber perpendiculairement en forme de fer à cheval ou croissant à la suite d’un large et calme miroir du plus beau vert émeraude. C’est seulement dans sa chute que se montre la sauvage puissance de sa nature ; mais ici encore elle est plus majestueuse que sauvage. Trenton est un jeune héros qui, enivré par la jeunesse de la vie et le vieux Sherry se précipite avec un orgueil aveugle dans une lice terrible. Niagara est une déesse calme, digne, au moment même où elle fait usage de toute sa force. Elle est puissante, mais sans violence ; elle a de grandes et paisibles pensées, en inspire de pareilles chez ceux qui peuvent la comprendre ; elle ne frappe pas d’étonnement, elle impose et ravit par sa beauté élevée. On est assis à ses genoux, et cependant on s’entend soi-même, on entend les autres et même la gouttelette qui tombe des arbres aspergés par ses eaux. Elle est trop grande pour vouloir imposer silence et dominer autrement que par sa puissance intellectuelle. Elle est… hélas ! ce que les hommes ne sont pas, ce qui les ferait ressembler à des dieux.

Mais les milliers de personnes qui viennent ici tous les ans (environ soixante mille, dit-on), doivent grandir et devenir meilleures en voyant cette grandeur, en s’y mirant. Je