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LA VIE DE FAMILLE

bateaux plats, chargés de plomb de Galena et attachés de chaque côté du nôtre. On dit que c’est un motif de sécurité. Dans le cas d’un accident, les passagers pourraient se sauver sur les bancs. Mais cela ralentit la marche, et pendant la nuit j’entends des bruits, des craquements singuliers ; on dirait que notre bateau gémit et soupire durant son pénible labeur. C’est désagréable à entendre et me paraît si dangereux que je me couche habillée, afin d’être prête à me montrer en public dans le cas d’une explosion. Ces accidents sont journaliers sur le Mississipi, et l’on entend souvent parler de malheurs arrivés tantôt sur les lacs, tantôt sur les rivières. Plusieurs passagers du bord ont des ceintures de sauvetage en caoutchouc afin de pouvoir flotter. Je n’en ai pas et suis ici sans connaissances ni amis pour me tendre la main au moment du danger. J’ignore comment cela se fait, mais l’idée d’avoir peur ne me vient pas. Je me borne seulement à être prête en cas de secousse.

Le capitaine est évidemment un général prudent. La seule chose qui m’a manqué sur son bateau, c’est du lait pour le café et le thé. Il ne faut pas songer à de la crème, on s’en procure difficilement dans ce pays. J’apprends à m’en passer dans le Sud et Ouest ; cependant je me plaignis un peu de cette privation hier au soir à table. Le colonel Baxter, assis en face de moi, dit : « Dans la guerre du Mexique, nous avons souvent passé des semaines sans goûter de lait ! » — « Vous aviez, répondis-je, la gloire pour vous consoler ; quelles privations ne supporterait-on pas pour elle ? Mais ici, sur un bateau à vapeur, sans gloire et sans lait, c’est trop ! » On se mit à rire, et ce matin nous avons en tous du lait pour le déjeuner. La plupart des domestiques sont nègres ; la femme de charge est une mulâ-