monotone. Le temps est froid, gris ; tout a une teinte grise autour de nous. L’État du Missouri est maintenant à notre droite, le Kentucky à gauche. Je regrette de n’avoir pas eu le temps d’en voir davantage de celui-ci et de ses habitants ; ils ont un air et un caractère particuliers, sont de grande taille, ont de la souplesse dans les mouvements et les manières, sont causeurs francs, gais, bonnes gens. J’aurais dû voir aussi la grotte de Mammoth, mais Harrison en parle de telle sorte qu’il me semble l’avoir vu.
Je vais te raconter un plaisir qu’il m’a préparé l’autre soir sur l’Ohio. Il me demanda si je désirais entendre chanter les nègres de l’équipage, et me conduisit an pont inférieur, où je vis une scène rare. L’immense four où l’on entretient le feu qui fait marcher la machine à vapeur est sous le tillac ; il a huit ou neuf grandes ouvertures sur la même ligne, et tournées vers l’avant ; on dirait des gouffres de feu béants. À côté de chaque gouffre est un nègre debout, nu jusqu’à la ceinture, qui lance du bois, passé par d’autres nègres, debout dans un grand espace libre, entre ceux-ci et un nègre placé sur une haute pile de bois, qui fournit de la pâture au monstre. M. Harrison invita les nègres à chanter. Celui qui était sur la pile commença de suite un chant improvisé ; les nègres d’en bas le répétaient en cœur avec énergie. Les vigoureux athlètes noirs, éclairés par la flamme sauvage et petillante, formaient un spectacle fantastique ; leur chant, qui ne l’était pas moins, avait une mesure et un rhythme magnifique, tandis qu’ils lançaient les morceaux de bois dans le gouffre. L’improvisation avait pour but d’insinuer que les chanteurs seraient ravis de boire un peu d’eau-de-vie en arrivant à Louisville, et qu’ils en achèteraient s’ils avaient de l’argent. M. Harrison ne manqua pas de réaliser leurs espérances.