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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

et de méditatif, sa conversation me cause un plaisir particulier. Il a été planteur et propriétaire d’esclaves, mais on voit, à ses beaux yeux bleus et profonds, qu’il a été le meilleur maître du monde. Il se rend à Cuba pour y passer l’hiver, dans l’intérêt de la santé de sa femme, puis il ira en Europe. Les deux époux paraissent cordialement dévoués l’un à l’autre. Pourquoi de pareilles gens sont-ils propriétaires d’esclaves, ou, pour mieux dire, pourquoi tous les propriétaires d’esclaves ne leur ressemblent-ils pas ?…

La femme m’a dit que son mari n’avait jamais l’esprit en repos dans sa plantation, parce que la pensée de ses esclaves, le désir d’être juste envers eux, de les bien soigner, le tourmentait jour et nuit. Il croyait toujours n’avoir pas assez fait pour eux.

Nous sommes maintenant près de Wicksbourg, ville de mauvais renom située sur le bord du Mississipi. Elle aussi a fait preuve de la capacité qu’ont les Américains pour se gouverner eux-mêmes. Il y a une couple d’années qu’une bande de joueurs et d’aventuriers désespérés s’y abattit. Ils tinrent maison de jeu, y attirèrent des jeunes gens, se battirent, tirèrent des coups de pistolet dans les rues, dans les maisons, et commirent toutes sortes d’actes sauvages. Les hommes sensés de la ville se réunirent et signifièrent aux joueurs qu’ils eussent à la quitter dans huit jours, sous peine d’être arrêtés et pendus. Les aventuriers méprisèrent cet avertissement, continuèrent à jouer, à se battre, à tirer des coups de pistolet comme auparavant. Les huit jours écoulés, les hommes d’ordre se réunirent, saisirent les joueurs, — pendirent les plus mauvais d’entre eux, placèrent les autres dans une barque et les abandonnèrent sur le fleuve. On appelle cela la « loi de Lynch, » c’est à-dire le sentiment du juste se faisant justice lui-même,