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LA VIE DE FAMILLE

« Mais il faut que beaucoup de choses changent ici, avant qu’une pareille pensée devienne générale… J’ai connu des gens d’église qui ont été les plus cruels propriétaires d’esclaves.

« Si je disais ce que j’ai vu, ce que je sais relativement au passé et au présent dans ces États, les cheveux se dresseraient sur toute tête raisonnable.

« Les récits des esclaves fugitifs que j’ai lus ne sont pas toujours dignes de foi ; ils inventent souvent, et c’est inutile pour montrer combien la position des esclaves est épouvantable. La réalité l’emporte sur la fiction. Si j’étais esclave, je ne manquerais pas de sauter dans la rivière, de mettre un terme à ma vie. »

Ces paroles et les récits qui les accompagnaient, les abominations qui ont eu lieu et qui ont lieu encore journellement sur ces bords, se mêlèrent comme un vent empoisonné aux zéphyrs d’été dont j’étais caressée. Je vis un vieil esclave poursuivi à mort, parce qu’il avait osé aller voir sa femme ; je le vis déchiré, battu, arrêté et se précipiter dans les eaux de la rivière Noire qu’on lui faisait traverser pour le remettre au pouvoir de son maître. Et la loi garde le silence !

Je vis une jeune femme, à qui une parole vive était échappée, frappée sur le crâne de telle sorte qu’elle est tombée morte sur le coup. Et la loi garde le silence !

J’entendis la loi prononcer, par l’intermédiaire des jurés, entre un blanc et un noir ; condamner ce dernier à être déchiré par les verges, châtiment qu’on aurait dû infliger au premier. Les membres loyaux du jury s’étaient vainement opposés à cette iniquité.

Je vis ici, sur le bord du Mississipi, il y a peu de mois