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LA VIE DE FAMILLE

res solitaires, et suffisent pour me remplir l’âme et l’esprit.

Je t’écris d’une maison paisible ; l’ailantus et le sycomore murmurent devant mes fenêtres ; la maîtresse du logis et moi nous courons à l’envi nous plonger trois à quatre fois par jour dans un bain froid. Mais laissons ma personne de côté ; de grands, de graves événements se sont passés depuis ma dernière lettre : ils ont donné une forte vibration à tous les citoyens, à tous les États de l’Union, et amèneront une révolution en beaucoup de choses.

Le 5 et le 6 juillet, on disait par-ci par-là, dans Washington, que le président était malade. Le 4, il se portait encore parfaitement, je l’avais vu la veille ; mais, ayant trop mangé d’un pâté d’huitres, je crois, il a eu une indigestion. Le 7, on a dit qu’il allait mieux et serait bientôt rétabli. Hier, j’étais dans la chambre du sénat, écoutant avec patience (pour mieux dire avec impatience), un long et ennuyeux discours en faveur de l’esclavage, prononcé par le sénateur de la Caroline du Sud (digne homme et mon ami, excepté sur cette question). Tout à coup, un mouvement subit, qu’on aurait pu croire produit par un choc électrique sans bruit, se fit dans l’assemblée ; une foule de personnes entrèrent par les portes principales, et je vis Daniel Webster debout à côté de l’orateur, exprimant par un geste d’excuse la nécessité de l’interrompre pour une affaire importante. L’orateur s’inclina et se tut ; un silence de mort s’établit dans la salle, tous les regards se fixèrent sur Webster, qui, lui-même, resta plusieurs secondes sans mot dire, comme pour préparer l’assemblée à une grande et sérieuse nouvelle. Ensuite il dit lentement, de cette voix profondément expressive qui lui est particulière :