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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/142

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LA VIE DE FAMILLE

tale, et comme un souvenir de leur première vie de liberté.

En quittant ces époux, je suis allée dans la cellule qui sert de prison, où l’on dépose les esclaves après châtiment, — hommes et femmes, — tandis que l’esprit fermente encore après la douleur éprouvée. Ils sont attachés par une chaîne fixée à une table en bois, et restent assis pris des mains et des pieds, — hommes et femmes, — jusqu’à ce qu’ils soient redevenus calmes, et leurs blessures assez guéries pour leur permettre de retourner au travail. On dit qu’ils engraissent dans la prison. Cette pièce était libre pour l’instant et habitée seulement par des légions de puces.

Je suis fort surprise de ce que le suicide n’est pas plus fréquent parmi les noirs ; il faut que l’instinct de la vie soit bien fort et bien coriace.

Le moulin à sucre d’ici offre à sa manière un spectacle intéressant et pittoresque. Les figures athlétiques des Africains demi nus se tenant auprès des fourneaux ou des grandes chaudières dans lesquelles bout le sucre, ou dans les grandes et sombres salles où ils se livrent à divers travaux, présentent un aspect singulier. Je ne puis voir sans admiration et plaisir la sauvage mais calme majesté de leur maintien, de leurs mouvements, ainsi que l’énergie sombre de leur visage. Des sculpteurs devraient voir et copier ces bustes, ces épaules africaines qui paraissent faites pour supporter l’Atlas. Quoique celui de l’esclavage repose sur ces noirs, ils seraient forts, — épouvantablement forts encore, si l’heure de la vengeance arrivait. Maintenant ils sont silencieux et taciturnes. Les surveillants espagnols, avec leur chemise blanche et leur fouet ou bâton court et carré à la main, se tiennent ici debout ou assis sur des estrades, pour surveiller le travail, et pre-