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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/22

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LA VIE DE FAMILLE

L’une des jeunes négresses sourit avec mélancolie et un peu ironiquement. « Quinze jours ! dit-elle ; nous sommes ici depuis deux ans. »

Je regardai le magistrat, il avait l’air tant soit peu embarrassé. « Ah ! c’est singulier, fort extraordinaire… une circonstance tout à fait exceptionnelle… très-rare !… » Et il se hâta de m’emmener.

Encore et toujours même injustice envers des créatures humaines, parce qu’elles ont — la peau noire.

Immédiatement après le dîner, je suis allée voir l’asile catholique des orphelines pour deux cents petites filles, élevées par quinze sœurs de la Miséricorde. C’est un joli établissement fort bien tenu. À peine rentrée, on est venu me prendre pour aller à l’Opéra français. On donnait Jérusalem de Verdi ; l’exécution en a été très-bonne. La prima donna, madame D…, est une grande favorite du public, et le mérite par sa belle figure, la noblesse de ses manières, un talent musical remarquable, quoique sa voix ne soit pas forte. Ses mains et ses bras sont d’une beauté rare et leurs mouvements en harmonie avec le chant.

La scène la plus intéressante pour moi n’était pas cependant sur le théâtre, mais dans la salle, où les dames de la Nouvelle-Orléans, assises dans les loges et au balcon, la faisaient ressembler à un parterre de roses blanches. Elles portaient toutes des robes de gaze blanche, avaient la poitrine et les bras, souvent fort beaux, nus, la tête découverte ou ornée de fleurs. Toutes étaient très-pâles, sans avoir l’apparence de la mauvaise santé. Beaucoup de jeunes personnes fort jolies avaient des traits fins, des visages ronds comme les enfants. La beauté proprement dite était rare ici comme partout. Le fard blanc, dont les femmes font en général usage dans cette ville,