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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/249

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

cent mille âmes, presque la moitié de celle de l’île entière) compte près d’un tiers de nègres affranchis. Le nègre libre est à Cuba le plus heureux des êtres. Protégé par les lois du pays contre la violence et les attaques dont les tribus ennemies le menacent sans cesse dans sa propre patrie, il devient avec une faible somme possesseur de quelques acres de terre où il construit sa cabane en écorce de palmiers, la couvre en palmes, et plante à l’entour les arbres de son pays natal, des racines, et le blé doré, le maïs. La terre lui donne, avec une faible culture, tout ce dont il a besoin ; il n’est pas obligé de se livrer à un travail rude, peut se reposer et jouir. Le soleil lui tient lieu de feu, l’exempte de vêtements — sur la plus grande partie du corps ; — les cocotiers lui fournissent du lait, le platane lui donne du pain, le palmier royal nourrit ses pores et ses poules. Son champ lui donne la canne à sucre, et les arbres sauvages de la forêt leurs fruits variés. Le tambour africain et son animation joyeuse, les danses et les chants sauvages de l’Afrique lui sont permis ; il mène donc ici une véritable vie de Chanaan, et ne veut à aucun prix retourner en Afrique. Il est heureux.

J’avoue à Votre Majesté que j’ai été surprise et — qu’il m’en a coûté de trouver les États-Unis si fort en arrière de l’Espagne sous le rapport de l’esprit de justice et de liberté, de la législation concernant les noirs. J’ai de la peine à m’expliquer comment la générosité et la fierté nationales de ce peuple peuvent endurer de se voir surpasser quand il s’agit de loi, de liberté, par une nation qu’il considère comme lui étant bien inférieure quant à la civilisation humanitaire, et qui l’est en effet sous bien d’autres rapports. Ce n’est donc pas à tort que les Espagnols de Cuba regardent les Américains comme au-dessous