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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/265

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

LETTRE XXXIX


Savannah (Géorgie), le 13 mai 1851.

J’ai quitté l’île du soleil, des palmiers, et me trouve de nouveau sur le continent. Je me suis embarquée le 3 mai sur le joli mais coûteux bateau à vapeur l’Isabelle.

La dernière vue que j’ai eue de la Reine des Antilles me l’a montrée enveloppée de sombres nuages durant un orage qui se formait. La mer était houleuse, le bateau bondissait avec force, et le phare de Morro brillait comme une torche à chaque vague montante, pour se cacher de nouveau lorsque le bateau descendait dans les flots. Ce beau feu, qui m’a si souvent réjouie pendant les soirs et les nuits de Cuba, me paraissait, maintenant que le vent grossissait et à mesure que l’obscurité devenait plus profonde, un signal de malheur envoyé au loin par l’horizon pour annoncer la tempête. Il y avait eu la veille éclipse de soleil, et autour de cet astre un grand cercle noir. Ces signes me paraissaient prophétiques. La situation intérieure de Cuba, le despotisme de son gouvernement, son amour de l’argent, sa vénalité, le mécontentement amer des Créoles, la position des esclaves nègres, la continuation du trafic des noirs, qui peuple annuellement cette île de milliers de sauvages africains, — les regards de convoitise jetés par la puissance américaine sur cette nouvelle Hélène, tout annonce un avenir orageux, et — peut-être — une crise terrible. Puisse ma prédiction ne pas s’accomplir !