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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/281

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

plaisant, de sorte qu’ils devinrent pour nous matière à plaisir. La nuit, éclairée par la lune, fut magnifique, et nous restâmes très-tard sur la petite plate-forme triangulaire de l’arrière. Une couple de jeunes sœurs ayant de la voix chantèrent « Mai chéri » et autres joyeuses chansons nègres ; les rives prenaient de plus en plus le caractère des tropiques. Ensuite nous dormîmes un peu, moi fort bien, malgré les cacrelots ; mais notre dame dirigeante, croyant devoir veiller à notre sûreté, fut très-agitée, et transforma quelques souris en tigres.

Nous prîmes terre le lendemain de bonne heure pour faire du bois, et je débarquai pour me rafraîchir de cette nuit désagréable. La contrée paraissait complétement inculte et sauvage, mais un sentier serpentait dans la forêt ; je le pris à l’aventure pour faire des découvertes, et tandis que j’errais ainsi seule dans le désert, mes ailes et ma gaieté revinrent. Il faut convenir que ce matin et ce désert étaient d’une beauté inexprimable ! Les chênes verts avec leurs lianes pendantes étaient dans toute leur magnificence, les rayons du soleil pénétraient sous leurs arcades. La rosée couvrait l’arbre à ambre, ainsi qu’une foule de petites plantes et de buissons qui longeaient le sentier. La terre embaumait. Je baisai la rosée sur les feuilles ; je posais sur mes yeux, mon front, ces fraîches feuilles de la terre nouvelle. Légère comme un oiseau, je m’avançais en chantant les louanges du Créateur avec les oiseaux. Ne m’avait-il pas permis de goûter ici la boisson rafraîchissante que j’avais tant désirée durant mes courses si longues à travers le désert ? J’avais humé, je humais encore la plénitude de la vie aux sources de la richesse de Dieu, portée uniquement par sa force et les ailes qu’il m’avait données. Qui pourrait se dire plus libre, plus riche que