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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/38

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LA VIE DE FAMILLE

madame Cooks, jeunes époux calmes et remplis de douceur, qui paraissent vivre entièrement l’un pour l’autre et pour leurs deux enfants. Le temps a été admirable l’après-dînée et le soir de mon arrivée ici. Je ne puis décrire la suavité de l’air, la limpidité du ciel, la beauté ravissante du soleil, des nuages pendant le jour, de la lune et des étoiles pendant la nuit. Nous étions assises, mademoiselle W. et moi, sur la terrasse, entourées d’oléandres, de magnolias, et nous jouissions de tout cela. Des aloès de haute taille, des juca gloriosa, d’autres arbres et plantes rares brillaient d’un beau vert dans les jardins qui entourent les jolies maisons de cette rue tranquille et champêtre. Je jouissais, en outre, de la conversation de mademoiselle W., de sa manière si fraîche, spéciale, complète, indépendante, de sentir et de juger les choses de la vie, j’y retrouvais le feu comprimé que j’avais vu briller dans ses yeux ; il me réchauffait.

Mais je voulais te raconter ce qui m’a interrompue avant-hier. D’abord le froid, puis — le feu. Le lendemain de mon arrivée dans ce foyer, ayant été mauvais et froid, m’a rendue tellement irritable, que je me félicitais du bonheur de n’avoir point d’esclaves, et par conséquent de ne pas être tentée d’épancher ma fâcheuse humeur sur elles. Je n’ai jamais compris, avant mon séjour en Amérique, la puissance que les sensations du corps exercent sur l’âme. Je gelais donc, mais on fit du feu dans ma grande et jolie chambre. Octavie et madame Geddes vinrent pour poser ; j’avais commencé leurs têtes dans mon album.

J’éprouvais du plaisir à regarder, à dessiner ces deux aimables femmes, le profil noble, grave, régulier, de madame Geddes, le visage rond, piquant, de madame Le Vert, avec son petit nez retroussé, ses cheveux arrangés d’une