Aller au contenu

Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LA VIE DE FAMILLE

La couleur bleu foncé, presque noire, de l’eau me frappa ; c’est un produit, dit-on, de sa grande profondeur. Le ciel avec ses légères nuées était d’une teinte azurée claire, et s’arrondissait au-dessus des flots qui se soulevaient et murmuraient joyeusement sous la pression d’un vent salubre, quoique chaud comme en été. Que c’était beau ! Je humais le vent et la vie en oubliant tout ce qui n’avait pas trait au présent. La mer ! la mer a quelque chose d’inexprimable qui repose, guérit, et renouvelle les forces.

Si l’on veut commencer une vie intérieure nouvelle, il faut voyager sur mer, baigner son âme et sa vie dans son air, pendant des jours, des semaines ; tout alors devient nouveau et sain.

J’ai passé ainsi ma première journée et aussi la seconde ; mais alors j’ai lu un livre, c’est-à-dire une tragédie de J. Browning, le Retour des Druses, dont l’esprit élevé, animé, plein de chaleur, était en harmonie avec le beau, le magnifique spectacle qui m’entourait ; j’y étais plongée tout entière, et si de temps à autre un passager s’approchait et me disait : « Comment trouvez-vous l’Amérique ? » ou me demandait un autographe, il me produisait l’effet d’une mouche qui serait passée en bourdonnant devant mon oreille et ma pensée. Il y avait aussi à bord un voyageur me paraissant plus agréable que les autres n’étaient fâcheux, c’est-à-dire celui qui s’était fait mon chevalier lors de notre aventure sur le lac de Pontchartrain et m’avait accompagnée à la Nouvelle-Orléans. Il se rendait à Cuba pour chercher un climat plus doux que celui des États-Unis pendant l’hiver. M. Vassar est un homme comme il faut, d’âge moyen, ayant un bon et noble visage, des manières distinguées et douces. Il a beaucoup voyagé en Orient et dans l’Occident, a bien appris beaucoup de choses intéres-