Londres, via Calais, et il ne doit prendre ni déposer aucun voyageur en cours de route. Dans ses rares arrêts, uniquement motivés pour changer de machine, un voyageur qui monterait ou descendrait du train serait forcément remarqué. Il fallait donc que ce dixième voyageur, l’assassin, eût quitté le B-14, durant un arrêt, mais en sautant à contre-voie.
— Je vous le disais, Monsieur le procureur, opina donc Rosic, et ma première opinion était, la bonne. Notre homme a commis son crime sitôt le départ du train, de Marseille, et à Avignon, premier arrêt, il s’est esbigné en douceur… et courez après, maintenant !
Mais le substitut était incrédule.
— Qui donc, à Valence, aurait fait disparaître la tête ?
Rosic haussa les épaules.
— Ils se figurent qu’ils l’ont vue, la tête… Mais je suis bien sûr… D’ailleurs, je vais y aller, et je saurai bien…
Le conducteur s’approcha alors, et…
— Puis-je donner le signal du départ ?
— Certes… Seulement, tâchez de vous tenir à la disposition de la justice, ainsi que vous, monsieur le contrôleur, car nous aurons certainement besoin de votre témoignage…, fit Rosic.
— Oui, ajouta le substitut, en s’adressant à l’employé des Wagons-Lits, le mieux serait même qu’à Paris vous passiez le service à un de vos collègues et que vous reveniez ici…
Le contrôleur fit une grimace… Mais un coup de sifflet retentit, et une minute après le train tragique disparaissait sous le tunnel de Fourvières.
iv
monsieur rosic
quatre heures du matin, Rosic sautait
dans le rapide qui le déposait
en gare de Valence une heure après.
Il avait eu tout le temps de réfléchir sur cette affaire qui, à tout prendre, lui paraissait plus claire que de l’eau de roche.
Ce n’était sûrement pas dans le crime du B-14 qu’il pourrait faire valoir ses brillantes qualités de policier. L’assassin était un Anglais, arrivant des Indes comme sa victime. Depuis longtemps, il préméditait son crime, et il l’avait accompli tranquillement, dès que le B-14 s’était mis en marche. À Avignon, il avait disparu et, maintenant, il avait de l’avance. Jamais on ne le retrouverait. Quant à cette histoire de tête disparue, dont ce pauvre M. Boulard avait l’air de faire tant de cas, c’était, quelque conte à dormir debout qu’il aurait vite fait de mettre au clair.
Quand il débarqua sur le quai de la gare de Valence, tout de suite il se dirigea vers le bureau du commissaire spécial. Le bureau était fermé, M. Jeulin, les constatations faites, ayant eu hâte de regagner son domicile et son lit.
— Drôle de commissaire ! grommela Rosic.
Et s’adressant à un employé : — Dites-moi, mon ami, le sous-chef de gare qui était de service, hier au soir, à l’arrivée du B-14, sans doute est-il allé aussi se coucher ?
L’homme regarda son interlocuteur, ébahi de cette demande ; pourtant, il dit :
— C’est M. Guillenot… il est encore là, vu qu’il ne quittera son service de nuit qu’à sept heures.
— Allons, voilà qui est heureux !
— Mais, si c’est pour avoir des renseignements, continua l’homme, ce n’est pas la peine de chercher à l’interroger, car le procureur nous a défendu de donner le moindre renseignement aux journalistes.
— Ah bah !
— Parce qu’il dit que les journalistes sont des bavards qui entravent l’instruction !
— Il a raison ! approuva Rosic, et vous n’avez pas encore reçu de journalistes, je suppose ?
— Cinq, déjà !
— Mazette ! ils ne perdent pas leur temps !
— Pour ma seule part ! ajouta l’homme avec une pointe de fatuité.
— Vous savez donc quelque chose ?
— Dame ! J’étais là, avec M. Guillenot, quand il est monté dans le sleeping.
— Et… vous avez vu la tête… sans doute.
— Comme je vois la vôtre…
Rosic, qui tenait à son idée, haussa les épaules.
— Vous en êtes absolument sûr ?
— Je ne suis pas une vieille bête, je suppose, riposta l’homme, vexé. Le corps était étendu sur le tapis… la tête presque détachée
du tronc, était toute tournée vers la