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Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/16

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le mystère du b 14
bien ainsi que je l’avais deviné !… L’homme

a voulu piquer une tête dans le Rhône, dont l’eau aurait amorti sa chute !… Il a ouvert la portière, a pris son élan, mais n’a pas songé à ce bouquet d’arbres qui l’a retenu… et, sous la commotion du choc, il s’est évanoui !… D’ailleurs, ajouta-t-il, après avoir fureté autour des saules, il n’y a rien de plus à examiner ici… Allons chez vous !…

Dans la maisonnette, non plus, il ne remarqua rien d’intéressant ; le fauteuil où l’homme avait dormi était encore là, et les couvertures que la Frégière lui avait données pour le garantir de la fraîcheur de la nuit ; mais aucun indice, sinon une assez forte odeur d’un parfum musqué dont le fauteuil et les couvertures étaient imprégnés. Rosic n’eut pas besoin d’interroger la Frégière pour se rendre compte que cette odeur devait être celle de l’assassin. Mais c’était bien faible comme indice.

— Maintenant, fit Rosic à haute voix, il s’agirait de savoir de quel côté notre homme a filé ?…

— Pour ça, dit la Frégière, c’est assez facile !…

— Comment ?…

— Dame !… Ce matin, comme je racontais notre aventure à Hortense…

— Qui ça, Hortense ?…

— La Rigotte… la femme du péager…

— Ah ! fit Rosic, vivement intéressé… alors, cette Hortense ?…

— Elle m’a dit comme ça : je le connais, ton individu… Oui !… Il paraît que ce matin, vers les cinq heures… un homme a voulu traverser le pont sans payer son sou… Alors Rigot lui a couru après, mais il a pris ses jambes à son cou, et… ma foi… comme Rigot était en bras de chemise… sans casquette, il n’a pas voulu, pour un sou, attraper un mauvais froid… et il l’a laissé courir… Mais la Rigotte l’a bien vu… Et il répond au signalement de l’homme que Frégière a déniché dans les saules du Robinet !…

— Voilà qui est bon, approuva Rosic… Nous savons qu’il a passé le Rhône… Mais, ce signalement, quel est-il ?…

— Ben voilà… un homme comme ça… dans les trente… rasé comme un curé… ni gros ni maigre… brun… avec des souliers jaunes et un complet vert… Pas, Frégière ?

Frégière approuva de la tête : d’ailleurs, depuis le matin il était complètement abruti.

— Allons voir le péager !… conclut Rosic.

Il n’y avait que la voie à traverser ; une petite maison en forme de cube de maçonnerie s’accotait à la première pile formant portique et soutenant les câbles du pont suspendu ; assis devant sa porte, fumant une courte pipe, Rigot bayait aux corneilles.

Mais l’arrivée de Rosic, les questions qu’il posait, et cet air pas commode que prennent toujours les policiers, intimida Rigot, qui se sentait dans son tort et qui crut d’abord avoir affaire à quelque inspecteur de son administration venu pour lui reprocher les nonchalances de son service. Puis, quand il fut rassuré sur ce point, il redit avec un grand luxe de détails ce que la Frégière avait déjà narré ; il ajouta, cependant :

— L’homme n’était pas au bout du pont que Noré a passé, avec son tape-cul… Il m’a jeté ses huit sous, comme il fait d’ordinaire car il est toujours pressé… Mais Noré a sûrement vu notre homme, et lui pourra vous dire si, au bout du pont, il a bifurque vers Viviers ou vers Saint-Montant !…

— Qu’est-ce que Noré ?

— Comment, vous ne connaissez pas Noré, Noré… le patron du Soleil d’Or, le meilleur hôtel de Viviers ?

— En route pour Viviers…, fit simplement Rosic en se tournant vers le chauffeur, qui attendait à l’entrée du pont. Venez-vous avec moi, monsieur Lahuche ?

Lahuche accepta, heureux de cette aventure à quoi il se trouvait si intimement lié, et, un quart d’heure après, l’auto s’arrêtait devant le Soleil d’Or.

Rosic était enchanté, heureux, sûr de la réussite de cette affaire ; le hasard, cette collaboration inavouée des policiers, le servait à merveille ; il était sur la trace de son assassin, car, pour lui, l’affaire ne souffrait aucun doute : l’homme déniché par Frégière était bien l’assassin du B-14.

Noré, un gros, blond et réjoui personnage, fut assez effrayé quand Rosic, lui ayant décliné ses qualités, lui demanda si, le matin, il n’avait pas rencontré un homme chaussé de jaune et vêtu de vert et sans chapeau.

— Ma foi, si, je l’ai rencontré… Ah !… pour sûr, que je l’ai rencontré… Même qu’il est descendu ici… et que si jamais quelqu’un m’a épaté !…

— Il est encore chez vous ?

— Parti depuis une demi-heure !

— Pour où ?

— Pour Lyon… même qu’il n’avait pas le sou, et que…

— Vous lui avez prêté de l’argent ?

— Pas de ça, Lisette, fit Honoré, je ne

prête pas d’argent aux chemineaux que je