Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
le mystère du b 14

— Ma foi, je n’en ai pas vu d’autres… répondit l’employé.

— Et… il n’est monté que ces huit personnes… à Marseille ?

— Pour cela, je ne saurais vous dire… moi, je n’ai pris mon service dans le train qu’à La Chapelle…

Mais à ce moment, un autre employé s’approchant, vint se mêler à la conversation :

— Pardon… à Marseille, il y avait dix voyageurs, fit-il.

— Ah !… Et… que sont-ils devenus ?

— Un a été assassiné à Valence… et l’autre, sans doute, avait de bonnes raisons pour prendre la fuite…

— Voudriez-vous dire…

— Que c’est sans doute lui qui a assassiné son compagnon de voyage… D’ailleurs, ce que j’en dis là… c’est ce que mon camarade m’a dit à La Chapelle, car je n’y étais pas, moi… et le contrôleur qui aurait pu me donner des détails a été rappelé d’office à Valence par la justice…

À cette révélation, le gentleman roux avait imperceptiblement rougi.

Mais il n’avait rien répondu que ces simples mots :

All right !… Thank you…

Puis, quittant le quai de la gare, il avait regagné la petite barque amarrée à quai, et, cinq minutes après, il était à bord du Sea-Gull qui, bientôt, appareillait et se préparait à retraverser le détroit.

— Vous ne savez pas qui vous a parlé ? demanda alors un employé de la gare aux contrôleurs des wagons-lits.

— Ma foi, non… Un homme qui attendait sans doute quelqu’un par le B-14 mais dans tous les cas qui n’a pas été très affecté d’apprendre que l’un des deux voyageurs manquant avait été assassiné…

— Eh bien ! ce gentleman, tel que vous l’avez vu, n’est rien moins qu’un des plus hauts personnages du Royaume-Uni. Oui… Je l’ai bien reconnu, car j’ai habité longtemps à Londres… Il a un superbe château à Putney et il se nomme lord Bradfort…

— Pour un lord, il a véritablement une sale bobine…

— Oui… mais il possède une centaine de millions, et cela peut faire passer sur sa laideur…

— C’est égal… un vilain bonhomme…

Mais, pendant ce temps, le Sea-Gull rapide traversait le chenal, et à peine quarante minutes après il accostait à Douvres.

Là, le gentleman roux qui était, s’il fallait en croire le vieil employé, lord Bradfort, sautait dans une auto qui l’attendait et deux petites heures après, arrivait dans ce superbe château de Putney qui est à l’est de Londres, comme chacun sait.

— Eh bien ?… lui demandait un grand garçon flegmatique, qui avait l’air du secrétaire ou du moins de l’homme de confiance du lord.

— Un voyageur du B-14 a été assassiné à Valence, en France…

— Et Joé…

— Il n’était pas dans le train… Ma foi… j’ai craint de le rater, et je suis revenu ici… persuadé qu’il ne saurait manquer d’y arriver par les voies les plus rapides…

— Pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé malheur, dit le secrétaire.

Mais lord Bradfort éclata d’un rire sarcastique :

— On voit bien que vous ne connaissez pas Joé…

Tous deux entrèrent dans le château ; lord Bradfort gagna ses appartements, luncha de bon appétit, fuma quelques cigares, puis, sans doute fatigué par ce voyage qu’il venait de faire se coucha de fort bonne heure.

Le lendemain, dès son réveil, il sonnait et faisait demander son secrétaire, qui arrivait auprès de lui presque aussitôt, preuve qu’il était à l’affût du réveil de son maître :

— Eh bien ! Charles, rien de nouveau ?

— Rien…

— Joé ?

— Pas arrivé…

— Diable…

— Oui… Le Times parle du cadavre trouvé à Valence…

— Des détails ?

— Aucun…

— Joé devrait être là depuis longtemps…

— J’ai bien peur…

— Non… Rien à craindre… C’est un garçon plein d’esprit…

Mais Charley remarqua que son maître n’avait déjà plus la belle assurance de la veille.

La matinée se traîna longue et lord Bradfort semblait nerveux, angoissé…

Il déjeuna du bout des dents, commanda un cheval pour faire une promenade en forêt, mais le fit desseller tout de suite. Il se retira dans sa bibliothèque, ouvrit plusieurs volumes qu’il referma aussitôt… fuma de nombreux cigares qu’il laissa éteindre alors qu’ils étaient à peine commencés, enfin donna des signes certains d’une fébrilité qui ne lui était pas

ordinaire.