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le mystère du b 14

Enfin, vers cinq heures, comme il regardait avec une longue-vue la route de Londres, Charley arriva, assez pâle, malgré tout son flegme…

— Il y a là un homme qui demande à parler à milord.

— Un homme ?

— Que je ne connais pas…

— Anglais ?

— Il en a l’air et l’accent…

— Que me veut-il ?

— Il ne veut voir que milord…

— Peut-être apporte-t-il des nouvelles de Joé…

— Ma foi… c’est ce que j’ai supposé au premier abord…

— Introduis cet homme… et laisse-moi.

L’homme pénétra dans la bibliothèque où se tenait lord Bradfort ; il salua respectueusement et attendit que le lord lui adressât la parole.

— Que voulez-vous de moi ? demanda Bradfort.

— Je suis un ami de Joé Wistler, répondit l’homme.

— Pourquoi vous envoie-t-il à sa place ?

— Parce qu’il est mort…

Le lord se leva comme mû par un ressort.

— Mort ?…

— Oui… en France…

— Serait-ce donc lui qui a été assassiné dans le B-14 ?

— Non… Mais il a été écrasé par un train dans une gare française dont le nom m’échappe, mais près de Valence…

— L’imbécile !… gronda le lord. Se faire sottement écraser.

— Oh ! ce n’est pas de sa faute… À Valence, où le Bombay-Express s’arrête, on a vu un des wagons plein de sang… On a garé ce wagon où se trouvait un cadavre fraîchement assassiné… Joé se trouvait lui-même dans ce wagon… Il a eu peur, n’est-ce pas ? La justice est si curieuse… Il a sauté dans un train qui se trouvait là, miraculeusement… Quand le train s’est arrêté, dans cette petite gare dont j’ai oublié le nom, Joé a voulu changer de train… mesure de précaution… Il a donc sauté… à contre-voie. Mais, malheureusement, juste au même moment un rapide passait, à toute vapeur, et ce pauvre Joé a été proprement décapité…

— Et… les papiers ?…

— Il les avait… dans une valise !…

— Eh bien !… cette valise…

L’homme eut un geste d’impuissance :

— À cette heure… sûrement… entre les mains de la justice française…

— Malédiction !… hurla le lord, qui frappa la table d’un coup de poing formidable…

— Oui… reprit l’homme, cela est fort désagréable… La justice française, si elle découvre ces papiers, est fort capable d’en faire part au gouvernement britannique… à la Chambre des lords… et milord sera dans une situation fort inconfortable…

— Ah !… maudit Joé… damné garçon… triple buse… Aller se faire écraser bêtement, quand il avait enfin ces fameux papiers…

— Oui… cela est bien regrettable… Mais cela n’est véritablement pas la faute de ce pauvre Joé… Certes, il eût préféré, j’en suis sûr, rapporter ces papiers à Votre Excellence.

Mais lord Bradfort n’écoutait plus : il allait de long en large dans la bibliothèque, se mordant les poings et murmurant :

— Je suis perdu !… Que faire, maintenant…

Alors, l’homme, de sa voix la plus douce :

— Si j’osais donner un conseil à Milord…

— Parlez… si le conseil est bon…

— Oh !… il est bien simple… Milord l’aurait trouvé lui-même s’il était moins fiévreux…

— Alors quoi ?…

— Mais supprimer la petite miss…

— De quelle miss voulez-vous parler ? dit Bradfort, en fixant son interlocuteur.

— Mais… de la cousine de Milord !

— Vous savez donc ?

— Tout… J’étais l’ami de Joé, Milord, et j’ai eu l’honneur de le dire à Milord, Joé n’avait aucun secret pour moi…

Bradfort se prit à rêver…

Il s’était arrêté.

Debout devant la fenêtre grande ouverte, ses yeux erraient sur les hautes futaies du parc qui s’étalaient devant lui, mais il ne voyait rien et sa pensée bouillonnait dans sa tête.

Et, comme se parlant à lui-même :

— Oui, dit-il… Il faudrait supprimer la petite miss… De cette façon, quand on saurait ce qu’il y a dans les papiers qui sont tombés entre les mains de la justice française, il serait trop tard… oui… oui. Il faudrait supprimer la petite miss, mais… Joé est mort…

L’homme ricana :

— Faute d’un moine, Milord, l’abbaye ne chôme point…

— Que voulez-vous dire ?

— Que Joé mort, on peut trouver un autre… Joé…

Mais Bradfort hocha la tête :

— Vous ne connaissez pas Joé pour parler ainsi…

— C’était un habile homme, certes… Mais

il n’était pas seul de son genre dans le