Page:Bringer - Le Mystère du B 14, 1927.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
le mystère du b 14

de ne pas entendre le signal du départ, le chef de train s’était penché et il disait :

— Eh bien ! quoi ?… Nous ne partons pas !

— Venez donc !… cria M. Guillenot.

Le chef de train sauta de son fourgon et s’approcha ; déjà sept ou huit hommes faisaient cercle autour du wagon.

— Mais… c’est du sang !… fit à son tour le chef de train. Qu’est-ce que cela veut dire ?

— C’est ce que nous allons voir !… riposta M. Guillenot.

Et, grimpant sur le marchepied, il pénétra dans le wagon.

Il était assez sombre, les lampes électriques étant baissées en veilleuse. Mais un homme d’équipe avait sa lanterne.

Alors, on vit que le sang qui dégouttait sur le marchepied du wagon faisait une large rigole, laquelle partait de la portière du compartiment de milieu.

Guillenot l’ouvrit…

Et il put voir, étalé sur le parquet du compartiment, un homme qui baignait dans une mare de sang : le cou était tranché par une si large section que la tête ne tenait plus que par quelques minces filaments de chair…

Un frisson d’horreur secoua le sous-chef de gare et les quatre ou cinq hommes qui venaient de faire cette lugubre découverte.

Cependant l’employé de la Compagnie des Wagons-Lits qui avait la surveillance de ce sleeping venait d’accourir, et, à la vue du cadavre de ce voyageur, il demeura comme pétrifié par l’émotion qu’il venait de ressentir.

— Qu’est-ce qu’on va faire ?… demanda alors le chef de train.

— Dame…, répondit vaguement l’employé des Wagons-Lits, évasif.

— C’est que, continua le chef de train nous ne pouvons rester ici, en attendant la police… Le plus simple serait peut-être de continuer notre route jusqu’à Lyon où on avertirait la police par un coup de téléphone.

— Non ! fit Guillenot.

Et, se tournant vers l’employé des Wagons-Lits :

— Vous avez des places libres dans les autres sleepings ?

— Ce ne sont pas les places qui manquent, dans ce train !

— Alors, on va faire évacuer les voyageurs dans les autres wagons, et on va garer celui-ci…

— Ce sera facile… Il n’y avait que ce voyageur dans ce wagon.

— Alors, hâtons-nous…

Guillenot sauta sur le quai, donna des ordres ; deux hommes d’équipe détachèrent le wagon du train que l’on refoula sur une voie de garage, puis le fourgon de queue ayant été raccroché, le sous-chef de gare donna le signal du départ, tandis que le chef de train disait au mécanicien :

— Dix minutes de retard… Il va falloir gagner ça d’ici Lyon, hein !…

Et allégé de son wagon tragique, le B-14 s’enfonça dans le tunnel.

Cependant, déjà, dans toute la gare, le bruit de la lugubre découverte se répandait comme une traînée de poudre ; la nouvelle était déjà connue de tous les cafés avoisinant la gare, dont les clients attardés accouraient sur les quais pour apprendre les détails de cette tragique affaire ; Guillenot était entouré par une troupe de nouveaux amis dont il eut été bien embarrassé de dire les noms ; mais que pouvait-il ; d’ailleurs, il avait d’autres chats à fouetter que de raconter ce qu’il venait de voir ; à peine le wagon garé, il avait envoyé réveiller le chef de gare, prévenir le commissaire de surveillance et avertir le Parquet.

Le chef de gare, le premier arrivé, avait commencé par placer cinq ou six hommes d’équipe autour du wagon sanglant, pour empêcher les curieux d’en approcher. Puis, M. Jeulin, le commissaire de surveillance, était arrivé, tout suant, tout soufflant, tout ému de ce qu’il venait d’apprendre, furieux aussi, peut-être, d’avoir été obligé d’interrompre une manille, au moment où il avait tous les atouts en main. C’était un gros brave homme, grand amateur de bocks et de cartes, et qui devait à un ancien camarade du quartier latin, devenu ministre, cette place de tout repos et de sûre tranquillité.

Voici cinq ou six ans qu’il occupait ce poste de confiance et d’inutilité, et jamais il n’avait eu à faire acte d’intelligence ou d’énergie ; et voici que dans son ressort, un crime, que tout laissait prévoir sensationnel, le contraignait à se mettre en évidence : il en était réellement atterré.

Mais le Parquet arrivait, le juge d’instruction, M. Hardi ; le procureur de la République, M. Chaulvet ; et Philippon, le greffier.

Devant le wagon, à la lueur falotte des lanternes d’employés, M. Guillenot dit comment il avait vu ce sang, comment il avait pénétré dans le wagon et la découverte qu’il y avait faite.

— Vous avez bien fait, le félicita M. Chaulvet, de faire garer le wagon ; le mener jusqu’à Lyon eût été du temps perdu ; nous gagnons une grosse heure, et, en une heure, une en-