Aller au contenu

Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’y laisse reprendre. On est émerveillé de la quantité d’esprit qui s’y gaspillait. Trois fois par semaine, Aurélien Scholl improvisait ses cinq ou six colonnes. Il brodait sur n’importe quoi des variations qui n’étaient presque jamais indifférentes. Et autour de lui se formait une légende. Il plaisait aux femmes, et il était batailleur. Il eut je ne sais combien de duels, seize ou dix-sept, avec des confrères, avec des clubmen, avec M. Sarcey, avec M. de Dion. Enfin, il portait un monocle, et cet appareil, qui n’était pas un vain ornement et qui venait en aide à la myopie du chroniqueur, prit un caractère symbolique. Ce monocle effronté, vissé dans l’œil, et volontiers insolent, le complétait dans l’opinion de la foule, et résumait ce que le personnage de satiriste boulevardier comporte d’aplomb, d’impertinence, de hardi caquet. Il fut convenu que tout journaliste qui ne s’occupait pas exclusivement d’économie politique devait avoir un monocle. Et tous eurent des monocles, à l’exemple d’Aurélien Scholl. Celui-ci voyait grandir sa réputation, et s’accommodait du rôle qui lui était assigné : il le jouait à merveille. Il ne se bornait pas à écrire ses chroniques, il les « causait ». Chaque soir de cinq à sept, autour d’une table de café, il tirait son feu d’artifice et lançait à tous venants des fusées, qui parfois étaient meurtrières. C’est lui qui, interpellant un méchant auteur nouvellement décoré, et dont la boutonnière, trop large, laissait échapper le ruban rouge, s’écria, avec ce ricanement qu’on lui connaît :