Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/107

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sations d’art et de ses mouvements d’âme. Sa langue est d’une souplesse prodigieuse : elle fait corps avec ce qu’elle traduit ; elle ressemble à un délicat tissu qui moule le contour des objets et en épouse la forme. L’adhérence est complète et parfaite... Et l’on ne peut pas dire que cette langue soit recherchée ni savante ; elle est purement intuitive. M. Loti n’a rien d’un rhéteur, il n’a point appris à composer selon les règles classiques : il doit à la seule nature ses qualités de styliste. Remarquez que sa prose n’est jamais déclamatoire, ni guindée, ni même élégante (au sens ordinaire du terme) ; on ne peut guère lui reprocher qu’une nervosité, qu’une fébrilité excessives, mais dans ces défauts mêmes de l’écrivain, nous reconnaissons le tempérament de l’homme. Ils sont compensés d’ailleurs par des avantages supérieurs. Nul ne sait comme l’auteur d’Aziyadé donner en quelques lignes la vision d’un pays et saisir et mettre en lumière les points saillants d’une description.

J’arrive au mérite essentiel de M. Pierre Loti, à celui qui, je crois, prime tous les autres et explique le mystérieux ascendant qu’exerce ce magicien sur ses lecteurs innombrables. Beaucoup de romans (et non des moins agréables) n’éveillent que ce genre d’intérêt qui s’attache aux combinaisons d’événements. Chez M. Pierre Loti, il y a toujours un prolongement. Des faits particuliers qu’il retrace, jaillissent, peut-être à son insu, ou sans qu’il en ait une conscience très nette, des observations et des