Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armes ; tout s’oublie, dans l’impatience inquiète de Stamboul, à cause simplement d’une amulette que je suis allé querir au fond d’un coffre et que j’ai rattachée à mon cou. » La vue de cette amulette éveille encore d’autres pensées. Loti songe à la main mignonne qui l’a brodée ; il se demande pourquoi tous les amants, à quelque race qu’ils appartiennent, éprouvent le même besoin d’échanger de petits objets matériels à titre de souvenirs, et l’uniformité de ce penchant lui inspire des doutes sur l’individualité propre des âmes. Nous ne pouvons nous empêcher d’être touchés par ces réflexions. Et cette page qui ne serait, sans elles, que gracieusement mélancolique, prend un accent d’amertume et de tristesse qui vibre au plus profond de notre être.

Il serait aisé de poursuivre cette recherche et de multiplier les citations ; on n’a que l’embarras du choix. Dans les livres intimes de M. Loti comme dans ses livres moins personnels, nous aurions à noter des traits pareils. Nul n’est plus égal à lui-même que cet auteur, dont la force créatrice est en quelque manière impérieuse et spontanée comme un instinct. Dans tout ce qu’il a produit nous le retrouvons avec ses faiblesses et ses prestiges, avec sa mobilité souffrante, ses élans, ses crises, ses étrangetés, ses désespoirs un peu puérils, mais aussi avec ses dons incomparables de peintre et d’évocateur, avec ses nerfs délicats et cette grâce délicieuse qui flotte autour de ses œuvres ainsi qu’un léger encens.