Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/16

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fait homme ; il se plaît aux raisonnements facétieux qui se tiennent en équilibre sur une pointe, comme les chapeaux de clowns.

Son irrévérence s’attaque à tout ce qui inspire aux hommes du respect et de la considération, à tout ce qui est assis et posé. S’il s’occupait de politique, il fronderait les corps de l’État, la magistrature, le clergé, les fonctionnaires et les ministres. Dans le domaine des lettres, il attaque les écrivains bien rentés, ceux qui séduisent les bourgeois et les gens du monde et qui possèdent un fauteuil sous la Coupole. L’Académie est sa bête noire. Tantôt il la transperce de sa flamberge, avec les gestes du spadassin Lampourde ; tantôt, quittant le ton tragique, il accommode les Quarante à la sauce verte, il leur lance des nasardes et gambade autour d’eux, comme Arlequin, en leur allongeant des coups de batte, en les saluant d’un pied de nez. Si quelque confrère malavisé eût prédit, vers 1872, à M. Émile Bergerat qu’il aspirerait un jour à la succession de quelque immortel, un éclat de rire homérique eût accueilli cette prophétie. Et de même, il y a vingt ans, Caliban ou Bergerat (c’est tout un) eût repoussé avec horreur le ruban rouge, si on le lui avait offert. Sa mémorable philippique contre la Légion d’honneur restera comme un de ses morceaux les plus brillants. C’est un modèle du genre. L’ironie s’y allie à l’invective. Et il est très bien composé. M. Bergerat s’est souvenu, pour une fois, qu’il avait fait sa rhétorique. Je