Aller au contenu

Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

n’a pu décrocher la timbale du succès, j’entends du succès pécuniaire, qui se chiffre par de nombreuses représentations. Il n’a connu que les « insuccès d’estime ». On s’est récrié sur son talent ; les artistes — ses pairs — l’ont congratulé ; il s’est congratulé lui-même. Mais la foule n’est pas venue. Et M. Bergerat continue de voir fuir devant lui, indéfiniment, son espérance suprême, qui est de palper les recettes du Tour du Monde en quatre-vingts jours.

En vérité, il a de quoi se consoler, et sa carrière a été brillante. Enfant prodige, il échoue à son baccalauréat, mais il broche une pièce en un acte qu’il envoie chez Molière, et qui est reçue sans coup férir. Par une étrange ironie, cet homme, qui poursuivit toute sa vie la chimère du théâtre, y débuta à dix-sept ans, et y fut plus précoce qu’Augier, Dumas fils et Pailleron… Puis, il se tourne vers le journalisme : il publie au Figaro, en 1864, des articles qu’il signe du pseudonyme de Jean Rouge ; il collabore au Gaulois, au Paris-Journal, au Bien Public, au Voltaire, Il traite tous les sujets, il aborde tous les genres : le conte, le roman, la critique d’art, la satire, l’étude de mœurs ; il y déploie une vivacité, une verve funambulesque, et surtout une virtuosité de langage qui lui assignent une place au premier rang des humoristes. C’est un Sterne, avec moins de flegme, un Rabelais, avec moins de philosophie et de bon sens. Du bon sens, M. Bergerat, dès cette époque, ne se pique guère d’en avoir. Il le méprise… Il est le paradoxe