Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/217

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Or, le page ne revient pas
Et, chose étrange, sa guitare
Pleure ici sur un air barbare,
Et le page est pourtant là-bas.

Et des craintes mal étouffées
Disent qu’à la source des bois
L’oreille entend rire des voix
Et sangloter des pleurs de fées.

Or, malheur à l’être ingénu
Qui s’attarde à regarder luire
Leurs yeux d’eau vive et leur sourire,
Et la neige de leur dos nu.

Le petit page aux yeux distraits,
Qu’on dit d’origine bulgare,
Est parti conduire en forêts
Les danois du comte Hialmare.

Examinez avec attention ces strophes. Elles sont d’un tour moderne ; l’ « écriture », comme on dit aujourd’hui, en est soignée, conforme aux règles de la rhétorique parnassienne. Point de hiatus, d’enjambements hasardeux ; les rimes sont des rimes et non pas des assonances. Mais si le morceau est d’une ciselure fine et précise, l’auteur y a versé quelque chose de flottant, qui lui enlève toute sécheresse… Où va le joli page, suivi des chiens de son seigneur ? On ne sait trop… Il traverse une forêt très obscure, peuplée de fées. Au bord des fontaines qui sanglotent, il aperçoit des chairs blanches et de fauves chevelures. Et l’auteur ne dit pas ce qui lui advient, s’il ramène au château les danois du comte Hialmare, ou s’il est dévoré par eux, ou s’il est choisi comme époux par une nymphe. Le tableau demeure inachevé