Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/218

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et garde un air de mystère, dont notre imagination est saisie. Ce mélange de netteté et d’imprécision — netteté de forme, imprécision d’idée et de sentiment — pourrait bien être le trait essentiel du talent de M. Jean Lorrain. Joignez-y une certaine grâce perverse, une aptitude à analyser les complexités du cœur et du tempérament de la femme. Et vous l’aurez complètement défini. L’auteur des Âmes d’Automne et de Yanthis est un féministe, mais non pas à la manière d’Octave Feuillet, qui était un psychologue sûr de lui-même ; c’est un observateur inquiet, sans cesse à la recherche de sensations inconnues, se plaisant aux cas morbides. Quand on s’est assimilé un volume de M. Lorrain, on éprouve une impression de malaise, on se sent un peu malade. Quelque chose de malsain a passé, des pages feuilletées, aux doigts du lecteur, et est monté jusqu’à son cerveau. On s’en veut presque du plaisir qu’on a goûté. En tout cas, cette jouissance esthétique est d’un ordre trop spécial pour être impunément prolongée. On éprouve l’impérieux besoin de réagir, de noyer dans, une eau limpide ces parfums trop capiteux. Le « Jean Lorrain » ne peut être absorbé qu’à dose légère. Il en est ainsi de tous les poisons.

Si vous me demandiez ce qu’il y a dans la plupart de ses livres et particulièrement dans les deux cents pages d’Âmes d’Automne, je serais bien en peine de vous répondre. Des sensations, encore des sensations et toujours des sensations… Sensation de brouil-