Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/34

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bourgeois anonymes qui se délectent à votre prose. Il est plus doux, peut-être, de plaire à cent mandarins, qui, à tort ou à raison, représentent l’élite des connaisseurs. Ils règlent le ton, pérorent dans les salons et dans les cénacles, préparent les élections académiques, décident si un tel est de premier ou de second ordre, dosent le talent ou le génie, et rendent des arrêts qui sont acceptés sans résistance et répandus en tous lieux par l’innombrable légion des snobs. Que ces arrêts soient toujours sensés, je me garderai de l’affirmer. Et cependant on est obligé d’en tenir compte, car ils suffisent à vous élever ou à vous abaisser dans l’opinion générale. Eh bien ! ils n’ont jamais été très favorables à M. Hector Malot. Il n’est jamais tout à fait sorti de la grosse popularité. Il n’a pas cessé d’être aux yeux des dilettantes un romancier pour la foule, non pas sans doute au même degré que M. Émile Richebourg. On lui a accordé une nuance d’estime particulière ; on a rendu hommage à son mérite, à l’intégrité de son esprit, à l’excellence de ses intentions. Mais il n’a pu conquérir la réputation d’un Daudet, d’un Bourget, d’un Zola. On n’admet pas qu’il soit de la même essence.

Me fais-je bien comprendre ? Supposez, au siècle dernier, une réunion de gentilshommes de la plus pure noblesse, auxquels vient se joindre le fils d’un riche marchand. Ce dernier fût-il encore de meilleure mine, ne sera pas avec eux sur un pied de complète égalité. M. Malot est un peu comme ce fils de mar-