Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/35

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chand. Il lui manque quelque chose pour se fondre dans la race des gentilshommes artistes. Que lui manque-t-il ? Mon Dieu ! nous pouvons le proclamer sans offense, M. Malot pèche par la forme. Sa langue est lourde, sauf lorsqu’il est entraîné par le mouvement du récit ; elle est souvent incorrecte. Il s’en exhale comme un parfum boutiquier, comme une odeur de cassonade et de chandelle. Ecoutez-le quand il rédige son testament, dont nous citions plus haut quelques lignes : « J’aurais pu continuer d’exploiter un nom, auquel les années ont donné une valeur commerciale. » Il se défend, plus loin, de ressembler à « ces jeunes peintres qu’un petit succès vient de signaler à l’attention des marchands de tableaux, qui les enrôlent à leur service, en leur achetant d’avance leur fabrication... » Un négociant rédigeant son prospectus userait à peu près des mêmes termes. M. Malot ignore l’élégance des demi-teintes, les caresses du style, la subtile ironie des sous-entendus et des malices perfides. Cela a éloigné de lui les estomacs difficiles qui préfèrent à la solidité des viandes substantielles et communes la saveur des cuisines raffinées. Et puis, ce qui lui a nui plus que tout le reste, c’est son parfait équilibre, son air de santé inaltérable. Le moraliste affirme que les amants veulent faire tout le bonheur et, s’ils ne le peuvent, tout le malheur de ceux qu’ils aiment. De même l’écrivain arrive à conquérir le public par ses défauts non moins que par ses mérites. Il s’impose par ses traits