Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tiles. Pour mieux traduire la beauté de la musique religieuse, il lui prête un corps. Nous ne l’entendons plus, nous la voyons. Les syllabes brillent, palpitent, tombent sur le sol, rebondissent : « Dans le silence de l’église, les strophes gémissaient à nouveau, lancées, ainsi que sur un tremplin, par l’orgue. En les écoutant avec attention, en tentant de les décomposer, en fermant les yeux, Durtal les voyait d’abord presque horizontales, s’élever peu à peu, s’ériger à la fin, toutes droites, puis vaciller en pleurant et se casser du bout… Et, soudain, à la fin du psaume, alors qu’arrivait le répons de l’antienne Et lux perpetua luceat eis, les voix enfantines se déchiraient en un cri douloureux de soie, en un sanglot affilé, tremblant sur le mot eis qui restait suspendu dans le vide. » On ne saurait pousser plus loin l’art de la description. Cette art est si ténu qu’il en devient maladif. M. Huysmans est bien un décadent, au sens élogieux du terme, c’est-à-dire qu’il ne s’arrête pas aux sensations vulgaires et n’attache de prix qu’aux sensations raffinées. Il est atteint de littératurite (maladie, selon la définition de M. Jules Lemaître, qui consiste à faire vivre les mots en soi, à côté des réalités dont ils sont les signes). Et cependant, lorsqu’il éprouve une émotion qui le secoue jusque dans les moelles, il oublie ces quintessences ; son style revêt une ampleur, une gravité classiques. Il obéit, sans s’en douter, à cette loi qui veut que les très belles choses soient simples.