Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques I-II, Lemerre.djvu/225

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Souple comme un serpent, agile comme un daim,
Qui dans sa liberté sans frein se développe,
Et s’indigne, et frémit, lorsqu’un sage d’Europe,
Faible et dont chaque trait accuse un mal souffert,
Veut l’enlever, lui fort, aux charmes du désert !…
 
Pour élever cette âme et la faire des nôtres,
D’Europe cependant sont venus les apôtres.
Ô climat dévorant ! ils ne sont plus que deux.
Le plus jeune survit pour soigner le plus vieux :
C’est Évén, le chanteur, le doux missionnaire,
Et des prêtres martyrs le chef octogénaire.

Sur les bords d’un grand fleuve, au milieu des forêts,
Les voilà seuls, perdus, et pour derniers regrets,
Ceux qui venaient vers eux quand leurs mains étaient pleines
Les ont tous délaissés, légers catéchumènes ;
Mais le vieillard, aimant ces naïfs Indiens,
Disait : « Restons, mon fils, nous les ferons chrétiens. »
Et, soldats de la foi, tous les deux sur la brèche
Ils restaient, attendant la pointe d’une flèche,
Ou l’air empoisonné s’exhalant de ces bois :
Dix martyrs sont déjà couchés sous une croix.
 
Or, tandis que le saint priait dans sa cabane,
Évèn, par un beau soir, entra sous la savane :
Le violon fidèle, il l’avait à son bras ;
Sur les notes bientôt se mesuraient ses pas,
Quand de l’épais feuillage une tête emplumée
Sortit, la bouche ouverte, attentive et charmée,
Puis d’autres, des vieillards, des femmes, des enfants,
Et devant le chanteur les voilà tous dansants !