Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques I-II, Lemerre.djvu/291

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Quand prés d’eux nous passions légers, faisant les fous,
Ne portaient pas des cœurs plus sérieux que nous.
Il mourut le matin de sa treizième année !
Mais sur son tertre vert, la treizième journée,
Une fleur apparut jaune comme de l’or.
Et chacun s’écria : « C’est l’âme de Grégor ! »
Et tous, dès qu’ils voyaient la tombe merveilleuse,
De ralentir leurs pas ; puis, d’une main pieuse,
En passant chaque ami soulevait son chapeau.
Et les filles jetaient sur la fleur un peu d’eau.
Cette fleur, Sulia, l’enfant grave et fidèle,
La tenait sur son cœur quand j’arrivai prés d’elle ;
Mais à l’air vif du soir les feuilles d’or s’ouvrant :
« Voici qu’il meurt encore ! » cria-t-elle en pleurant ;
Et la fragile fleur, de ses pleurs arrosée,
Sembla se ranimer comme sous la rosée.
Dans la prairie alors reprenant son chemin,
La vierge s’éloigna, son trésor à la main :
Mais pour la contempler bientôt elle s’arrête,
Et vers le doux parfum elle incline la tête.
Non loin de la maison, à l’ombre du courtil,
J’ai vu la tige croître et briller en avril :
Aux yeux de Sulia (riantes destinées !)
Grégor fleurit toujours dans ses jeunes années…
Religion des morts ! N’ai-je pas vu plus tard
Un lait pur arroser le cercueil d’un vieillard.
Nuit et jour la prière à genoux sur sa tombe ?
N’ai-je pas vu languir de douleur la colombe ?
Hélas ! s’il est des cœurs prompts à se délier,
D’autres veulent mourir plutôt que d’oublier !