Chacun, quand doit s’ouvrir sa dernière demeure,
Un mois d’avance apprend le jour précis et l’heure.
« Un de ces loups de mer si communs autrefois
Qui, leur poil grisonnant, vont courir dans les bois,
Humbles gens à la cour, mais fiers dans leur domaine,
Un soir, l’amiral Jean, vert à sa soixantaine,
Le fusil sous le bras, par un sentier bien noir.
De lièvres tout chargé regagnait son manoir,
Lorsqu’il voit (le croissant montait sur la bruyère)
Le fossoyeur du bourg, l’homme du cimetière,
Qui creusait à la hâte une fosse en ce lieu.
« Alan, que faites-vous ? Parlez, au nom de Dieu ! »
Le fossoyeur creusait, creusait, et de plus belle
Sans répondre jetait la terre avec sa pelle.
« Une seconde fois, parlez, au nom de Dieu !
« Pour qui donc creusez-vous une fosse en ce lieu ? »
Le front tout en sueur, mais sans perdre courage,
Le muet fossoyeur poursuivait son ouvrage.
« Pour la troisième fois, parlez, au nom de Dieu !
« Pour qui donc creusez-vous une fosse en ce lieu ? »
Alors, le fossoyeur cédant à sa prière,
L’amiral vit son nom écrit sur une pierre.
« De retour au manoir, le marin orgueilleux.
Comme le fossoyeur, resta muet ; ses yeux
Reprirent leur gaîté… C’était une folie.
Quelque vapeur du soir… Le vin jusqu’à la lie,
L’hydromèle fumeuse et le cidre nouveau
D’une vapeur nouvelle emplirent son cerveau.
Trente jours sont passés, une noce l’appelle :
« Sellez mon cheval noir, la mariée est belle,
Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques III-VII, Lemerre.djvu/148
Apparence
Cette page a été validée par deux contributeurs.