Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques III-VII, Lemerre.djvu/21

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Un passant dont le bras la mit dans son chemin ;
Mais, pitié ! nulle main ne lui serra la main,
Et plus faible toujours et toujours délaissée.
Pâle, elle gisait là comme une trépassée.

Oh ! c’est que la beauté, faible contre le mal,
La beauté, même aux champs, est un présent fatal :
Quelle femme, en voyant Nola[1], n’était jalouse ?
Quel homme n’essaya de l’avoir pour épouse ?

Or le jeune Primel, par ses amis fêté,
Plus tard que de coutume au bourg était resté :
Avec ses grands cheveux que partage une raie.
Sous les plis réguliers de son immense braie.
Seul, il s’en revenait par les prés verdissants.
Heureux de la saison et de ses jeunes ans ;
Car des murs de la ville à la libre campagne,
Cet âge d’or, toujours un rêve l’accompagne.
Par-dessus les buissons il regarde : « Est-ce vous,
Blanche veuve ? » Et déjà, comme un nouvel époux,
Il disait : « Sur mon bras appuyez ce bras faible ;
Je suis l’arbuste fort, vous, la tremblante hièble.
Jusqu’à votre logis il vous faut un soutien.
Venez. Les médisants sur vous ne peuvent rien. »

La veuve à ce jeune homme obéit sans rien dire,
Et tous deux cheminaient avec un doux sourire.
 
« Pourquoi, dit-elle enfin, maîtrisant son émoi.
Quand tous si durement me délaissaient, pourquoi

  1. Abréviation de Guennola. Toute-Blanche.