Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques III-VII, Lemerre.djvu/22

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Seul voir mon abandon, vous pauvre, mais superbe,
Et d’où vient que l’arbuste est l’appui du brin d’herbe ?
Dieu vous fit un bon cœur, ô Primel ! un bon cœur !
Vous n’êtes point léger, vous n’êtes point moqueur ;
La femme sans appui, le vieillard sans défense,
Sont vos frères : ami de tout ce qu’on offense. »
Puis ce fut un silence, et par les chemins creux
Ils allaient, et leurs cœurs émus battaient entre eux :
Car ils se souvenaient de leur premier jeune âge,
Et des tendres accords nés par le voisinage,
Quand, à chaque rencontre, ils rougissaient soudain,
Et, n’osant se parler, ils se serraient la main.
 
« Que du moins le mérite ait un jour son salaire,
Reprit-elle, et, de grâce, écoutez sans colère :
Lorsque mon vieux mari mourut dans sa maison,
Le cher être y laissa des choses à foison.
J’ai du blé dans mon champ, du linge dans mon coffre,
Un tiroir plein d’argent : tout cela je vous l’offre.
Vous-même l’avez dit : il me faut un soutien.
Femme ne peut régler et son âme et son bien.
Donc, homme plein de cœur, à vous je me confie.
Vous sauverez mon bien, ayant sauvé ma vie. »

Lorsque les nids chantaient parmi les buissons verts,
Par ce mois enflammé, par ces chemins couverts,
Primel, sage Primel, la séduisante épreuve !
Mais déjà sur sa terre entrait la belle veuve ;
Le hameau fermentait, et les garçons fermiers,
Les grands jeux du dimanche autour des châtaigniers
(Tel un homme qui craint de parler dans la fièvre),
Éteignirent vos yeux, fermèrent votre lèvre.