Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/103

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Si mon corps est sauvé, faut-il perdre mon âme ?
Cette nuit, quand les flots se dressaient contre nous,
Par les saints de la mer nous avons juré tous,
Si leur main nous sauvait de cette dure crise,
D’aller ainsi voilés vers la prochaine église,
Sans dire notre nom aux habitants du lieu,
Sans avoir de pensers pour d’autres que pour Dieu…
À genoux ! mes amis, et tenez vos mains jointes !
De la croix d’un clocher j’ai reconnu les pointes !
La maison du Sauveur, d’ici je l’aperçois,
À genoux ! mes amis, et saluons la croix ! »
 
Oui, chrétiens, louez Dieu ! Devant ce cap du monde,
Dont la crête s’élève à trois cents pieds de l’onde,
Dans ces mornes courants, par le temps le meilleur,
Nul ne passa jamais sans mal ou sans frayeur !
En face, la voici, l’effroi de l’Armorique,
L’Ile-des-Sept-Sommeils, Seîn, l’île druidique,
Si basse à l’horizon, qu’elle semble un radeau
Entouré d’un millier de récifs à fleur d’eau !
Ah ! demain, venez voir, entre la pointe et l’île,
Les perfides courants briller comme de l’huile ;
Venez voir bouillonner la mer ; et, sur les rocs,
Ouvrez encor l’oreille au grand bruit de ses chocs !
L’épouvante est partout sur ce haut promontoire,
Et chacun de ses noms dit assez son histoire.
A gauche, ces rochers de la couleur du feu,
C’est l’Enfer-de-Plô-Goff ; sur la droite, au milieu
De ces dunes à pic, c’est l’exécrable baie,
La Baie-des-Trépassés, blanche comme la craie :
Son sable pâle est fait des ossements broyés,
Et les bruits de ses bords sont les cris des noyés !…