Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/108

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Et qui, l’hiver venu, s’en va servir le roi. »
Lilèz ne dit plus rien, mais il but à sa gourde.
La pierre qu’il lança lui retombait plus lourde.
Annaïc un instant rit de son embarras :
« Partons ! » dit-elle enfin, en lui prenant le bras.
 
Lilèz et sa cousine, et le pieux vicaire
Qui marchait derrière eux en disant son bréviaire,
De Cornouaille en Léon cheminaient donc tous trois.
Et les deux jeunes gens chantaient à pleine voix ;
Et pour les voir passer si légers, si superbes,
Les pâtres s’éveillaient, les bœufs laissaient leurs herbes,
Et ces gais Cornouaillais émerveillaient toujours
Les graves Léonards plus graves tous les jours.
 
Voici, sur un coteau, que des hommes, des femmes,
Tournés vers le midi d’où jaillissaient des flammes,
Se tenaient là, debout, pensifs et, pour voir mieux,
Ayant leur main posée au-dessus de leurs yeux.
Chacun des voyageurs près d’eux vient et s’arrête,
Vers le ciel orageux tournant aussi la tête ;
Mais, étrangers discrets, nul n’ose demander
Pourquoi si tristement tous semblent regarder.
À la fin, un vieillard : « Oh ! voyez ce ciel rouge
Et ce nuage épais et lourd où rien ne bouge !
Au-dessus du village il pend comme un rocher :
Si ses flancs s’entr’ouvraient, ah ! malheur au clocher ! »
Et tous ils restaient là dans une sombre attente,
Car ce nuage ardent où la foudre serpente
Semblait tomber ; la croix du clocher le perça,
Et le serpent de soufre en sifflant l’enlaça ;
Puis, remontant au ciel et fière de son œuvre,