Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/164

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Puis, après les géants, les grandes passes d’armes,
Un simple chant d’amour qui fait venir les larmes.

Chez la veuve d’Hoël tous les soirs tristement
S’écoulaient en silence et dans l’isolement ;
Si le fidèle clerc arrivait le dimanche,
Les trois femmes pleuraient sous leur coiffure blanche ;
Et le conscrit Lilèz, sur un banc à l’écart,
Jeune homme désolé, songeait à son départ…
 
Quand novembre amena sa première soirée,
Cette nuit cependant fut une nuit sacrée ;
Car du pays de Vanne au pays de Léon,
De Cornouaille en Tréguier il n’est pas un Breton,
Bûcheron dans les bois, ou pêcheur sur les côtes,
Qui chez lui, ce soir-là, n’attende bien des hôtes.
Dès que le dernier chant de la Fête des Saints
Est fini, les voilà, pareils à des essaims,
Ou comme des graviers roulés dans la tempête.
Qui sortent par millions, et volent à leur fête ;
Ils vont rasant le sol, pêle-mêle, hagards ;
Et le seuil des maisons, les courtils, les hangars,
Les granges, tout s’emplit ; ils remplissent l’étable,
Tous les bancs du foyer, tous les bancs de la table ;
Et même dans vos lits, sous vos draps chauds et doux,
Eux, toujours frissonnants, se couchent près de vous :
Vous ne les voyez pas ; mais, la nuit, sur la face
On sent comme un vent froid, un petit vent qui passe.
 
C’était pour eux qu’Anna, laissant là son rouet,
Le front tout en sueur, près du feu travaillait.
Elle avait délayé sa meilleure farine,