Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/185

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« Graves, et sans jeter un regard en arrière.
Ils partirent, laissant à Dieu leur vie entière :
Deux à deux ils allaient tout le long des fossés,
Si mornes qu’on eût dit de loin des trépassés.
 
« Dieu reçut ces martyrs : dans quelque fosse noire
Leurs os depuis longtemps sont plus blancs que l’ivoire ;
Quant aux parents, la mort n’en laissa pas un seul !
Pères et fils tiendraient dans le même linceul…
 
« Jeunes gens désolés qui partez pour la France,
Conscrits d’un temps de paix, à vous bonne espérance !
Le monde est beau, partez ! De retour au pays,
Fièrement vous direz un jour : m J’ai vu Paris ! »
 
Ce chant consolateur, redit par mille bouches,
Allait recommencer, quand des rumeurs farouches
Couvrirent la bombarde et la voix du meunier.
On vit tout en fuyant un jeune homme crier :
« Daûlaz ! à moi, Daûlaz ! » Et devant la mairie
Sur ses pas se ruaient des soldats en furie.
« À moi ! » cria plus fort le fuyard ; et Daûlaz,
Jeune clerc qui portait un livre sous son bras,
Courut sur le gendarme, et, du dos de son livre,
Il l’ajusta si bien qu’il l’étendit comme ivre.
Jamais, certe, un tel coup n’atteignit un soldat ;
Mais tout ce qui peut nuire est arme de combat.
Aussitôt les amis se mirent de la fête.
Les Bretons, toujours prêts à frapper sur la tête.
Agitaient leurs bâtons : « Parbleu ! se dit Ban-Gor,
Si ma tête blanchit, mon bras est jeune encor :
Jetons mon cri de guerre ! » Et, sus, le joyeux barde